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Ulrich SCHNEIDER

INÉDIT


Raffi Kaiser

Kaiser-le-Jeune, Kaiser l'Ancien

Raffi Kaiser dans son atelier, 1951

Raffi Kaiser dans son atelier, 1951

Photo ©Michaël Ferrier

Raffi Kaiser dans son atelier, 2012

Raffi Kaiser dans son atelier, 2012

Photo ©Michaël Ferrier

       Ulrich Schneider est né en 1950. Après avoir étudié l'histoire de l'art, l'archéologie et l'histoire à Heidelberg et à Rome, il a travaillé au Musée national allemand de Nuremberg, au Musée national de l'art occidental de Tokyo, puis a été directeur des musées de la ville d'Aix-la-Chapelle et enfin directeur du Musée des Arts Appliqués de Francfort.

 

       Son activité d'exposition et de publication s'étend de l'art du Moyen Âge à l'art actuel, avec pour point d’intérêt central la sculpture et la culture japonaises. Défenseur de l'art français, il a aussi été nommé chevalier de l'Ordre des Arts et des Lettres. Une amitié de longue date l'unit à Raffi Kaiser.

        Ce texte a été écrit à l'occasion de l'exposition Raffi Kaiser à la Galerie Japan Art-Friedrich Müller de Francfort, du 17 février au 23 mars 2024.

(Texte traduit de l'allemand par Michaël Ferrier)

UNE ŒUVRE MÛRE ET JUVÉNILE À LA FOIS

       À près de 93 ans, Raffi Kaiser a atteint le point où l'on pouvait s'attendre à ce qu'il produise une œuvre de vieillesse. Il continue à peindre et à dessiner quotidiennement, aussi longtemps qu’il peut bénéficier d’une bonne lumière du jour dans son atelier parisien orienté au nord. À cet égard, il n'est pas différent de son grand modèle japonais Sesshû, le peintre et moine zen qui, quoique né 511 ans avant lui, n'en garde pas moins toute sa pertinence aujourd’hui. Et, en effet, leurs vies furent assez similaires. Sesshû a d'abord vécu dans la province de Bitchū, au bord de la mer intérieure de Seto, avant de s’établir dans la capitale et métropole artistique de Kyoto, où son style s'affirma. Raffi, quant à lui, a étudié au bord de la mer à Tel-Aviv, puis en Toscane, avant de s'installer en 1962 dans le centre artistique de Paris. Sesshū a étudié auprès des grands de son temps, Shūbun (1414-63) et Shōkai (autour des années 1440-1460), tandis que Raffi s’inspira avec profit des représentants du Réalisme fantastique, style dans lequel il connut lui-même un grand succès. Tous deux étaient déjà des hommes mûrs, lorsqu’à l’âge de 47 ans, leur œuvre connut un changement fondamental : Sesshū partit en mission diplomatique en Chine, à Ningbo et à Pékin, où il se familiarisa avec la peinture chinoise, tandis que Raffi se détourna du caractère de plus en plus commercial de la peinture pour passer deux ans dans le désert du Néguev, dont les paysages spectaculaires commencèrent à lui inspirer des dessins d'une grande intensité.

Dessin de Raffi Kaiser

Raffi Kaiser, Paysage, Encre sur papier, 55x75 cm, 2022-2023

©Raffi Kaiser

Paravent de Sesshû

 Paravent de Sesshu, ère Muromachi (1337-1573), Freer Gallery/Sackler Gallery

       À partir de ce moment, le paysage ne le lâchera plus. En 1987, il quitte Paris pour la Chine, où il étudie la peinture des XIVe-XVIIe siècles et passe un mois à marcher dans les régions montagneuses le long de la rivière Li, réalisant des dessins qui les saisissent dans leur lumière si particulière. De retour dans son atelier, la mémoire et la méditation donnent naissance à un dessin au crayon de 50 mètres de long, le Grand paysage chinois (Suite chinoise, 1988-90), une œuvre sans précédent dans l'histoire de l'art. Raffi Kaiser devient alors un artiste-paysagiste itinérant dans la tradition de Dürer, Brueghel et Turner, parcourant le Japon sur les traces du peintre-poète Bashō (1644-94) et, une fois de plus, le Néguev. Son Grand paysage japonais (Suite japonaise, 1993-1994) et son Grand désert du Néguev (Suite israélienne, 1997-1999) illustrent les expériences sensorielles nées de ces expéditions éprouvantes dans un format tout aussi monumental. Des excursions plus modestes s’ensuivent, à travers le Grand Canyon, où il put vivre parmi les Green people autochtones, dans le monde monastique du Mont Athos, ainsi qu’à travers l'Afrique du Sud. Toutes ces expériences déferlent pour aboutir à son dessin de 66 mètres de long, le Voyage des Voyages (2010-2011), qui résume comme à vol d'oiseau la moitié d'une vie d'artiste. Après une grave maladie, conduit cette fois par un ami, il repart pour un tour de France, à partir duquel il réalise, comme un tribut à sa seconde patrie, son Grand paysage français (Suite française, 2017-2018).

Kaiser, Voyage des voyages.jpg

Raffi Kaiser, Le Voyage des Voyages

Ed. Morat Institute for Art and Art Studies, Freiburg i. Br, 2012

Ici, l'art n'est pas tapageur ni tonitruant,

mais il fait appel à la vertu zen du nintai japonais
 :

patience, 
attente, persévérance.

Dessin de Raffi Kaiser

Raffi Kaiser, Paysage, Encre et papier, 55x75, 2022-2023

©Raffi Kaiser

       Aujourd'hui, on pourrait croire qu'il a tout vu et tout créé. Mais comme Sesshū qui, jusqu'à l'âge avancé de 86 ans, produisit des peintures toujours aussi vivantes et stimulantes, comme s'il s'agissait d'un exercice religieux, Raffi continue à dessiner, en constante évolution. Ainsi, ses œuvres des deux dernières années, présentées à la Galerie Friedrich Müller, montrent à nouveau Cascades et Abysses, c'est-à-dire ses dessins de chutes d'eau et de gouffres. Cependant, ils se concentrent maintenant sur l'essentiel, avec une attention encore plus grande pour des lignes plus affûtées et des contours plus nets, comme on peut également le voir dans les œuvres tardives de Sesshū. Toutefois, un tout nouveau format voit également le jour, avec les Paysages-Méditations, d'une largeur de trois mètres, réalisées avec un crayon graphite H7 extrêmement dur et de légères touches de crayons de couleur presque indétectables. Ici, l’aperception joue des tours au spectateur : il ne voit d'abord rien, puis reconnaît vaguement quelque chose, et enfin, tout à coup, découvre quelque chose d'incroyable.

Dessin de Raffi Kaiser

Ici, l'aperception joue des tours au spectateur...

Dessin de Raffi Kaiser

...il ne voit d'abord rien...

Dessin de Raffi Kaiser

...puis reconnaît vaguement quelque chose...

Raffi Kaiser, Paysage, 2022-2023

...et enfin, découvre tout à coup l'incroyable

       Ces images représentent la véritable somme de la longue vie d'un artiste. Elles ont été explorées pendant de nombreux mois par l’artiste et doivent maintenant être explorées par les yeux du spectateur. Ici, l’art n’est pas tapageur ou tonitruant, mais il fait appel à la vertu zen du nintai japonais : patience, attente, persévérance. Après avoir connu le succès dans les galeries et le commerce, Raffi a fait l’apprentissage de ce nintai dans la seconde moitié de sa vie avec une discipline admirable et peut maintenant en profiter pleinement dans la dernière partie de sa vie.

Ulrich SCHNEIDER

©2024 by Ulrich Schneider/

Michaël Ferrier pour la traduction française/

Japan Art - Galerie Friedrich Müller/

Tokyo Time Table

Dessin de Raffi Kaiser

RAFFI KAISER

JAPAN ART

GALERIE FRIEDRICH MÜLLER

2024

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Ce texte fait partie du
DOSSIER
LES ARTISTES ET LE JAPON

Les artistes français et le Japon
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